Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 13 mars 2011

Le Chant de Bernadette - The Song of Bernadette, Henry King (1943)


En 1858, à Lourdes, la jeune Bernadette Soubirous a la vision d'une femme, qu'on ne tarde pas à identifier à la Vierge Marie.

Un film profondément empreint de spiritualité et non de religiosité, voilà l'exploit que réussit Henry King avec cette évocation du destin de Sainte Bernadette Soubirous. La tâche n'était pas aisé puisque plus qu'une retranscription "réaliste" des faits, le film est l'adaptation du best seller de l'émigrant autrichien Franz Werfel. Ce dernier, catholique convaincu (l'idée du livre lui viendra lorsqu'en fuite en 1940 il passe un moment à Lourdes, se promettant d'écrire sur Bernadette s'il était sauvé) a écrit une version romancée et hagiographique des faits qui parlera particulièrement à des américains baignés de croyance.

Les modifications de Werfel (et du film très fidèle) tendent d'ailleurs toutes à amplifier l'aura et les épreuves de Bernadette. On peut notamment citer la relation chaste entre Bernadette et Nicoleau décrit comme amoureux d'elle et qui gardera le célibat après son départ en invention de fiction ou encore le procureur Dutour plus sceptique que réellement menaçant dans la réalité et qui s'avère le grand ennemi incarné par Vincent Price dans le film. Le spectateur peu friand de la chose religieuse semble avoir tout à craindre de cette ample fresque de 2h30, mais c'est compter sans le brio de Henry King qui situe le film dans un bel entre deux résumé par cette phrase en ouverture :

Pour les croyant nulle explication n'est nécessaire, pour les autres nulle explication n'est possible.

Plus que l'imagerie religieuse (qui n'est pas absente et offre de superbes compositions en fin de film) Henry King dépeint donc l'expérience de Bernadette dans une pure tonalité de film fantastique que vient contrebalancer une facette plus réaliste dans la double interprétation souvent permise. C'est d'ailleurs ainsi que le récit débute lorsque nous découvrons les conditions de vie misérable de la famille Soubirous vivant à 6 dans une insalubre demeure soumise aux éléments. Celle qui a le plus a en souffrir est la jeune Bernadette (Jennifer Jones) à la santé fragile. Tout semble aller de mal en pis jusqu'à ce jour fatidique où partie accompagner sa soeur chercher du bois la jeune fille a la première de ses 15 (18 en réalité) visions de la Vierge. Ce début de film donne dans la vision rurale naturaliste, ce qui ne rendra que plus forte l'irruption du surnaturel.

Henry King fait d'ailleurs preuve d'une sobriété bienvenue dans les séquence d'apparitions, les soumettant à la simplicité, modestie et douceur de caractère de Bernadette. L'ensemble joue sur la partition céleste de Alfred Newman, des effets de lumière discret et la mise en scène soudainement plus ample lorsque s'annonce l'arrivée d'une présence extraordinaire. Le jeu habité et retenu à la fois de Jennifer Jones fait le reste par la grâce de son regard et l'innocence, la pureté absolue qui s'y lit. La décision de faire physiquement apparaître la Vierge Marie (que seul Bernadette peut voir) est un pari risqué mais même dans son port céleste son allure semble emprunt de l'humilité et la noblesse de celle qui l'observe, Bernadette.

Son ignorance affichée en matière de catéchisme lors des premières scènes peut d'ailleurs en partie jouer sur la thèse de l'imagination en s'éloignant des clichés des descriptions de la Vierge qu'elle ne connaît pas (ou à l'inverse la vraie présence divine est plus chaleureuse et proche que l'image que s'en font les hommes). C'est Linda Darnell (nimbée de lumière et qu'on ne reconnaît réellement qu'à la toute fin) qui incarne la Vierge, au grand dam de Warfel scandalisé par l'image sexy véhiculée par l'actrice précédemment.

Le récit questionne ensuite les conséquences de cette rencontre et de celle à venir sur les autorités et la population de Lourdes, ainsi que sur la famille de Bernadette. Gagné par l'exaltation de la jeune fille, une population de plus en plus nombreuse la suit désormais à chacune de ses visites à la grotte où l'attend la Dame (c'est d'ailleurs ainsi qu'elle est nommée l'essentiel du film) provoquant l'agacement du maire peu friand de ce genre de publicité pour la ville. Tout sera mis en oeuvre pour stopper les pérégrinations de Bernadette mais sa détermination est telle qu'aucun obstacle ne pourra l'empêcher de poursuivre ce pourquoi dépend son existence désormais. King offre de prodigieux moment de cinéma durant ces instants tel la séquence où Bernadette parvient à retardement à faire jaillir la fameuse source en trouvant son emplacement à la stupéfaction de tous.

Le tout devient passionnant lorsque ces visions sont la proie de l'oeil méfiant de l'église, notamment Charles Bickford magnifique en père Peyramale. La grâce de Bernadette se trouve confrontée au scepticisme (Peyramale), à un pragmatisme scientifique presque malvenu (la longue séquence de la commission d'enquête religieuse) voir même à la jalousie pure et simple lors de la magnifique confrontation finale dans le couvent entre Bernadette et la Sœur Marie-Thérèse Vauzous. C'est la nature de la foi elle même qui est questionnée ainsi, l'abandon de toute subjectivité face à un réel prodige ou la méfiance étant déterminé par son degré de croyance. La notion de souffrance supposée attribuée aux élus (cette notion étant encore très forte dans cette France rurale du XIXe) offre également des réflexions passionnantes sur le mérite de Bernadette, résolus dans son calvaire final. Les miracles authentiques alternent avec des scènes désamorçant ou en nuançant d'autres (dont une étonnante intervention de Napoléon) mais la sincérité absolue de Bernadette n'est elle jamais remise en cause. On est ainsi autant touché par cette être détaché des réalités et par son imagination ou une vraie grâce divine la rendant désormais inaccessible au commun des mortels.

Ce destin hors norme s'avère ainsi aussi palpitant que profondément triste. Comme il lui a été dit en début de film, elle ne sera jamais réellement heureuse dans ce monde et ne trouvera la paix que dans l'autre. Ses visions lui confèrent désormais des responsabilités qui l'éloigne à jamais de l'existence simple à laquelle elle aspirait et elle semble l'accepter avec humilité. Jennifer Jones sur la corde raide de la mièvrerie trouve constamment le ton juste pour exprimer la force intérieure qui guide cette âme pure.

Une de ses plus belles prestations (récompensées par l'Oscar) qui trouve son point culminant lors du magnifique final où sur son lit de mort Bernadette trouve enfin la paix. Un bien beau film emportant autant les croyants (les derniers instants flamboyant dans une iconographie religieuse enfin assumée) que les autres qui s'ils ont aimés accompagner la douceur de Bernadette n'auront aucun mal à accepter la réalité de ses visions.


Sorti en dvd zone 2 français chez Fox

Extrait

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