Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mercredi 11 avril 2012

Mogambo - John Ford (1953)


Victor Marswell capture des animaux africains pour les zoos du monde occidental et dirige des safaris. Arrive une Américaine invitée là par un maharadja, lequel est déjà reparti pour son pays... et avec laquelle Victor prend le temps d'une amourette. Survient un couple d'Anglais dont le mari anthropologue veut aller étudier les gorilles, et dont la femme est assez jolie pour donner à Marswell de bonnes raisons de diriger cette expédition risquée. Entre ces deux femmes et les dangers de l'Afrique, de beaux paysages de la terre et des cœurs...

Au début des années 50, l'immense succès des Mines du Roi Salomon fait de l'Afrique la nouvelle terre promise des studios pour leurs production spectaculaires et dépaysantes où suivront Les Neiges du Kilimandjaro (1952) d'Henry King, African Queen (1951) de John Huston ou un peu plus tard le Hatari (1962) d'Howard Hawks. Mogambo s'inscrit totalement dans cette veine, la MGM étant allé déterrer le pitch de La Belle de Saigon (1932) pour en offrir un remake transposé en Afrique. Particularité originale, Clark Gable reprend son rôle de chasseur bourru et séducteur du film original vingt ans plus tard, tout comme le scénariste John Lee Mahin à l'écriture des deux versions (et particulièrement porté sur l'aventure exotique à l'époque puisqu'on lui doit le script de La Piste des éléphants l'année suivante).

Les partenaires féminines changent elles par contre avec Ava Gardner reprenant le relai sulfureux de Jean Harlow tandis que Grâce Kelly (remplaçant Gene Tierney initialement choisie par Ford mais déjà atteinte par ses troubles mentaux) joue elle le rôle autrefois tenu par Mary Astor. John Ford plutôt réticent au départ est finalement séduit par la richesse des personnages et du trio de rêve dont il dispose pour les incarner dont son vieil ami Clark Gable.

Quiconque viendra chercher un grand récit d'aventures spectaculaire et mouvementé ne pourra que ressortir déçu de Mogambo, ce n'est pas le souci premier de Ford. Les aléas du climat, la faune luxuriante et les décors naturels somptueux sont ici entièrement soumis à des tourments bien humains.

Ici c'est un triangle amoureux entre le chasseur Victor Marswell (Clark Gable) dont le cœur est partagé entre la gouailleuse américaine Eloise Honey Bear Kelly et l'anglaise distinguée mais ardente Linda Nordley (Grâce Kelly). Les deux figures féminines sont en tous points opposées, Ava Gardner a déjà vécue et connu trop d'hommes alors que Grace Kelly pas assez, rapidement mariée et vivant dans un cocon protecteur.

Gable représente un attrait bien différent pour chacune d'elle : un rustre attachant qui parle le même langage qu'elle pour Gardner tandis que Grace Kelly y voit une figure d'homme viril en tout point supérieur à son époux anthropologue falot incarné par Donald Sinden. Si elle apparaît comme le personnage le plus frivole au départ, Ava Gardner s'avère très touchante par les fêlures qu'elle dévoile progressivement et par la douleur de son dépit amoureux lorsqu'elle voit Gable s'attacher à Grace Kelly.

Cette dernière offre une belle prestation également, rivalisant de sensualité avec Gardner dans un registre différent par l'expression d'un désir refoulé sous ses bonnes manières. La longue séquence où elle se perd dans la jungle et où Gable va la chercher est un sommet d'érotisme où Ford avec un rien (un échange qui dérape, un jeu de regard) instaure une ambiance moite à souhait.

Dès lors le rythme et les morceaux de bravoures se font au gré des déchirements de ce triangle amoureux, le romantisme n'étant pas forcément où l'on s'y attends. La rencontre Gable/Gardner est enlevée et naturelle dans l'assouvissement de son désir avec une belle scène de baiser devant un crépuscule africain. Entre Gable et Kelly, Ford joue donc plus sur la retenue, les regards brûlants et coupables des deux amants. Le dilemme ainsi posé, la réelle aventure peut commencer (l'argument lançant le safari étant totalement soumis à ses relations conflictuelles).

Le film fit sensation à l'époque pour son usage spectaculaire de stock-shots de documentaires animaliers qui donne à voir l'Afrique comme rarement jusqu'alors avec une faune bariolée, une jungle étouffante et une savane s'étendant à perte de vue magnifiée par la somptueuse photo de Robert Surtees et Freddie Young.

On devine parfois les artifices de studios mais les acteurs donnent néanmoins de leurs personnes (le tournage fut très éprouvant et mouvementé) notamment Ava Gardner qui a de nombreuses scènes en contact direct avec les animaux. Ford instaure une ambiance immersive par quelques choix judicieux comme l'absence de musique autres que les rythmes tribaux africains. L'intégration des stock-shots ou des bruitages au déroulement de l'action est faite avec brio. Pour le plus spectaculaire, on retiendra le mémorable duel psychologique entre Clark Gable et un gorille hargneux.

En plus subtil, les nombreux affrontements d'animaux entraperçu ou les cris entendus au loin sont le plus souvent rapportés à une dispute pour les faveurs d'une femelle, sorte d'écho plus naturel à la situation des personnages. Ford retrouve aussi ses motifs visuels les plus identifiables comme ces cadrages de portail, ici à travers l'embrasure d'une tente où Grace Kelly à l'extérieur et sous une lumière bleuté signifie le fossé qui la sépare désormais de son mari dans l'obscurité à l'intérieur.

La prise de conscience finale se fait donc à la suite d'un assaut animal qui remet les choses en perspective pour Gable. Vieillissant avec noblesse, il impose une présence aussi désinvolte que passionnée et fait passer tous les écarts de son personnage par son flegme attachant. C'est donc sans discussion qu'on accepte le beau final romantique et dénué du moindre cynisme en dépit de tout ce qui s'est déroulé. Une belle réussite pour Ford, une de plus.


Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

6 commentaires:

  1. Chouette article et superbes illustrations, qui me donnent envie de découvrir enfin ce film souvent croisé mais jamais vraiment regardé. Merci !

    RépondreSupprimer
  2. Merci ! Et oui tente tu va en prendre plein les mirettes, autant pour la beauté des décors que pour celle des deux actrices. Les regards de Grace Kelly dans ce film, c'est quelque chose...

    RépondreSupprimer
  3. superbe première photo d'Ava.Elle est à tomber!

    RépondreSupprimer
  4. Ce que je préfère, ce sont les oreilles et les genoux de Clark. Ava s'en moque gentiment d'ailleurs.
    Et c'est finalement avec Grace que Clark est allé sous la tente (dans la vraie life).

    RépondreSupprimer
  5. Ceci dit une grande amitié liait Ava et Clark Gable (dont elle était amoureuse adolescente !) qui l'a bien aidée au départ en la réclamant au casting de certains de ses films, ils en ont fait trois ensemble et Mogambo est le meilleur de tous on sent bien cette complicité. En passant la scène de séduction entre Gable et Grace Kelly on a rarement fait plus érotique dans le cinéma hollywoodien, le jeu de regard, l'emballement, la tension, c'est phénoménal et avec un rien ! Là aussi ce qui se passait en coulisse a dû aider ^^

    RépondreSupprimer
  6. Vieux Borgne y est un peu pour quelque chose, aussi. Le truc du foulard. Imparable. Il aimait bien ce genre de choses, les rubans (jaunes ou pas), les robes de femmes qui flottent au vent (il y a du vent dans cette scène de Mogambo, si je me souviens bien?), les chignons qui se défont, les machins mous qui volent...
    Le baiser fabuleux entre Wayne et O'Hara dans Quiet Man: là aussi le vent, les cheveux roux, longs... et un foulard peut-être bien,non?
    C'est ses gri-gris perso, au Ford. Sur les tournages, il suçotait son mouchoir. Ch'ais pas si c'est lié.
    En tout cas, à l'écran, ça marche, oui, encore et toujours, pas de doute.
    Un gros romantique, en fait.

    RépondreSupprimer