Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 21 octobre 2013

Les Inconnus dans la ville - Violent Saturday, Richard Fleischer (1955)

Un vendredi après-midi, trois hommes débarquent dans une petite ville américaine: Harper, Chapman et Hill. Ces trois personnages sont là pour attaquer la banque, le samedi à midi, heure de la fermeture. Leur venue, et ce jour sanglant, vont faire tomber les masques et révéler le lourd passé de certains habitants de la cité.

Fleischer signe un des polars les plus brillants et singulier des années 50 avec cet excellent Violent Saturday. Le film constitue un mélange inédit entre polar (et plus précisément ici film de casse) et le mélodrame tel qu'il se pratique au cours de cette décennie. Ce croisement des genres opère de façon symbolique dès la séquence d'ouverture et la vision de cette exploitation minière qui en plus de nous confronter à la réalité économique de la ville exprime la bascule inattendue qui aura cours durant le récit avec cette tonitruante explosion dans laquelle s'inscrit en couleur vive le titre.

Deux trames narratives vont par la suite évoluer en parallèle avant de se rejoindre dans la dernière partie. D'abord celle attendue à savoir l'intrigue criminelle qui voit trois malfrats arriver le vendredi dans la petite ville de Bradenville pour attaquer sa banque le lendemain à l'heure de la fermeture. Chaque truand est dépeint de manière schématique le réduisant à son rôle dans cette entreprise criminelle et caractérisé avec brio par Fleischer en quelques vignettes, que ce soit le cerveau Stephen McNally (séduisant et amical monsieur tout le monde à la conversation facile), J. Carrol Naish le vieux de la vieille flegmatique et la brute épaisse Lee Marvin dont la violence contenue et l'anxiété se devinant à l'inhalateur qui ne le quitte pas est palpable d'emblée.

C'est ensuite un récit choral qui se développe où l'on suivre diverses destinée individuelles plus ou moins fouillées parmi différents habitant de la ville : un père de famille (Victor Mature) perdant du crédit aux yeux de son fils car il n'est pas un héros de guerre, un riche héritier (Richard Egan) alcoolique et dépressif à cause de sa épouse infidèle (Margaret Hayes), un directeur de banque libidineux (Tommy Noonan) reluquant d'un peu trop près la jolie infirmière locale (Virginia Leith) ou encore une employée de bibliothèque endettée (Sylvia Sydney).

La manière d'évoquer les problèmes des uns et des autres dans une sorte d'envers du décor contredisant la forme attrayant (cinémascope, technicolor) nous place plus dans une tradition de mélodrame provincial alors très en vogue durant les années 50. On pense à Douglas Sirk évidemment mais aussi à des films tel que Comme un torrent (1958) de Vincente Minnelli ou Peyton Place (1957) de Mark Robson dans cette volonté de montrer les noirs secrets se dissimulant sous la belle imagerie americana.

Le scénario de Sydney Boehm (déjà responsable de façon moins poussée de ce mélange des genres avec ses scripts de La Rue de la mort (Anthony Mann, 1950) et Règlements de comptes (Fritz Lang, 1953)) nous rend ainsi les destinées de chacun palpable au lieu de victimes collatérales entraperçues lors du hold-up, on aura de vrais personnages qu'on aura vu exister et dont le sort nous concerne.

Cela se ressentira particulièrement pour le rôle pourtant secondaire de Sylvia Sydney dont le désespoir est d'autant plus fort par rapport à ce que l'on sait d'elle lorsque Lee Marvin lui arrache négligemment la liasse de billet qu'elle vient déposer. La fatalité du film noir se laisse déborder par le côté soap opera du mélodrame dans un tout harmonieux, comme si l'horlogerie suisse peu à peu défaillante de L'Ultime Razzia (pour citer un autre grand film de casse se mélangeait au gout du rebondissement improbable du Secret Magnifique.

Fleischer gère parfaitement ces va et vient dans sa mise en scène. Le découpage est minime pour au contraire exploiter les possibilités du cinémascope et le réalisateur usera notamment de cette largeur du cadre pour exprimer par l'image ces sentiments contrastés. Un plan de la scène du restaurant montre ainsi dans au sein de la même image différents personnages aux pensées bien éloignées : Lee Marvin et son acolyte installé discutant du coup en vue, le banquier regardant d'un œil concupiscent l'infirmière dansant amoureusement sur la piste avec un Richard Egan ivre mort dans un flirt étrange.

Ce sera aussi l'occasion de laisser un peu plus exister les gangsters lors d'une discussion nocturne où Lee Marvin se confie à Stephen McNally, Fleischer les accompagnants en plan fixe le temps de cet échange sans découpage (les gros plans étant rares voire absents du film). L'enferment et la destinée tragique inéluctable s'exprime également par cette approche subtile et symbolique (les barreaux d'escaliers dissimulant le couple Fairchild lorsqu'ils se réconcilient, la colline bouchant l'horizon lorsque le banquier traverse la rue) et la bascule vers la violence se fera dans un plan lourd de menace où Lee Marvin s'avance avec détermination depuis le centre de l'écran.

L'évolution "héroïque" de Richard Mature tout comme les croyances ébranlées des amish (très bon Ernest Borgnine dans un petit rôle de patriarche) est plus attendue mais est l'occasion d'une scène d'action mémorable qui annonce la violence rurale du Peckinpah des Chiens de Paille. Déroulant avec autant de brio la mécanique du polar que les chemins de traverse du mélo, un grand film surprenant et captivant.

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta

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