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lundi 23 juin 2014

Annie Hall - Woody Allen (1977)


Alvy Singer (Woody Allen) est un incurable névrosé, obsédé par la précarité de l'univers, mais également par Kafka, le sexe, la mort et Le Chagrin et la Pitié. Il tombe amoureux d'une jeune femme assez délurée, Annie (Diane Keaton), avec qui il développe une relation marquée par de nombreux moments de bonheur jusqu'à ce que surgissent des tensions liées à leur vie professionnelle respective.

Amuseur émérite et populaire du monde du spectacle américain depuis les années 60, Woody Allen à l’approche de la quarantaine est pris du désir d’amener une  plus grande profondeur à son œuvre. En passant au cinéma le temps de films aussi hilarants qu’inégaux (Bananas (1971), Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander (1972) ou Guerre et Amour (1975) pour les plus réussis), Allen y avait prolongé son image de clown et Annie Hall constituerait un virage radical et surprenant. Le réalisateur ne renonce pourtant pas complètement à provoquer le rire, mais l’humour se fera désormais plus subtil, moins potache et au service de l’émotion. Cette profondeur tant recherché, Woody Allen la trouvera en se mettant à nu dans une histoire narrant rien moins que sa relation avec Diane Keaton dont il s’est séparé un an avant le tournage. Cette facette personnelle repose déjà dans le titre, le vrai nom de Diane Keaton étant Diane Hall et son surnom auprès de ses amis Annie. Allen propose dans un premier temps le rôle-titre à l’actrice Kay Lenz et suite à son refus ose solliciter son ex compagne qui accepte. Leur ancienne intimité amène ainsi une complicité et une vérité saisissante au couple qu’ils ne formeront plus qu’à l’écran et entretiendra le flou tout au long du film quant à la part de fiction et de réalité de certaines situations (dans le film comme la réalité la rupture se fit notamment à l’initiative de Diane Keaton).

On suivra donc ici l’avant, l’après et le pendant de la relation amoureuse entre le comique Alvy Singer (Woody Allen) et la pétillante Annie Hall (Diane Keaton). A travers cette romance, Alvy Singer/Woody Allen se raconte, dépeignant tout ce qui a construit son caractère misanthrope et comico-dépressif à travers ses souvenirs d’enfance, son rapport aux femmes à travers ses deux premiers mariages malheureux. Dans l’intervalle vient se greffer sa grande histoire avec Annie où cette caractérisation nourrira autant leur attirance mutuelle que la séparation finale. L’inventivité quelque peu anarchique de ses œuvres ouvertement comique trouve ici une rigueur qui n’empêche pas une grande liberté narrative et esthétique. 

Singer intervient ainsi en ouverture face caméra pour nous donner sa vision douce-amère de la vie, rebondit par un montage astucieux sur des anecdotes souvenirs qu’il revisite et analyse avec le cynisme et la dérision de son « moi » contemporain (hilarante séquence où il revisite sa classe de primaire et son intérêt déjà bien affirmé pour les filles) tout en interpelant le spectateur sûr de son fait. Cette exaspération permanente du personnage est aussi l’occasion d’introduire des références plus intellectuelles à son idole Ingmar Bergman, des extraits du Chagrin et la Pitié (1969) en reflet décalé de son obsession pour l’antisémitisme et l’occasion mémorable de rabattre le caquet à un voisin de file pédant en faisant intervenir l’intellectuel Marshall McLuhan (Allen aura approché sans succès Fellini et Buñuel pour cette scène).

On aura même une séquence en dessin animé où pour exprimer son attirance pour les femmes compliquées, Allen crée une séquence en dessin animé le voyant amant de la méchante de Blanche-Neige (1937) qui a bien sûr sa préférence plutôt que l’héroïne pure du conte.
Tous ces artifices s’estompent pourtant dès qu’on touche à l’intime de sa relation avec Annie, ne traversant par leurs scènes communes mais s’y fondant tel ce moment où les pensées intimes s’affiches en sous-titres pour témoigner de leur gêne et émois intérieur tandis que la conversation en elle-même est anecdotique. 

Baignant dans la photo à l’éclat automnal de Gordon Willis, la romance se fait dans un kaléidoscope fait de purs moment de grâces visuelle tel ce baiser sur fond de panoramas new yorkais somptueux ou le premier échange maladroit après la partie de tennis où Annie (merveilleuse Diane Keaton à ce moment) ne sait comment aborder Alvy. Le charme naît autant de ces moments romantiques assumés que de ceux plus amusés où se tisse réellement la complicité du couple comme ce baiser expédié pour se détendre une bonne fois pour toute lors du premier rendez-vous ou cette invasion de homards. 

Le premier rabibochage après une première séparation est une merveille également avec un Alvy venu chasser une araignée de chez Annie pour ne plus repartir. A ce stade, le couple s’est trop rapproché pour ne pas commencer à inévitablement se déliter. La relation fusionnelle les amène à partager une des grandes obsessions de Woody/Alvy, la psychanalyse. S’étonnant au départ de la thérapie de 15 ans suivit par Alvy, Annie finira sur son insistance à y céder aussi, jetant un regard neuf sur leur relation. 

Dès lors toutes les différences, traits de caractères et excentricités qui les complétaient tendront à les séparer : les origines wasp et bourgeoise d’Annie contre celles juive et de souche populaire d’Alvy, la curiosité d’Annie et les aspirations professionnelles d’Annie face au renfermement sur soi d’Alvy… Tout cela est amené progressivement pour culminer lors de cette séquence en split-screen où les confidences de chacun chez son psychanalyste et sur des éléments communs débouchent sur des interprétations totalement différentes.

La séquence opposant pensée et attitude est reprise et détournée également pour illustrer le fossé qui les séparent désormais. Allen fait même au final une opposition symbolique entre son amour pour New York et l’aversion de la vie californienne (dont il se moque avec un plaisir certain) à laquelle aspire désormais Annie. 

Les petites saynètes supposées prolonger la tonalité décalée même aux scènes de ruptures (le partage des livres) n’ont plus la fougue du début du film et teinte le film de mélancolie et de regret. Allen ne verse cependant jamais dans le vrai désespoir et pour une ultime entrevue où le couple de désintègre définitivement en Californie, il en offrira une autre voyant les désormais amis se retrouver et évoquer le bon vieux temps.

Après tout, Diane Keaton est restée par la suite une des meilleurs amie de Woody Allen, tournant encore quatre films avec lui (Intérieurs (1978), Manhattan (1979), Radio Days (1987) et Meurtre mystérieux à Manhattan (1993) où elle remplaçait Mia Farrow). La vie avec ses hauts, ses bas et ses dysfonctionnements divers vaut la peine d’être vécue, à l’image de la relation avortée mais si touchante qui nous est racontée ici. Pour Woody Allen cette transformation sera une consécration avec l’obtention de 4 Oscars dont celui de meilleur film, scénario, réalisateur et bien évidemment actrice pour Diane Keaton. 

Sorti en dvd zone 2 et en bluray chez MGM

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