Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 29 janvier 2015

Hiroshima mon amour - Alain Resnais (1959)

Une actrice se rend à Hiroshima pour tourner un film sur la paix. Elle y rencontre un Japonais qui devient son amant, mais aussi son confident. Il lui parle de sa vie et lui répète « Tu n'as rien vu à Hiroshima ». Elle lui parle de son adolescence à Nevers pendant la Seconde Guerre mondiale, de son amour pour un soldat allemand et de l'humiliation qu'elle a subie à la Libération lorsqu'elle a été tondue.

Premier vrai film d’Alain Resnais – l’inaugural Ouvert pour cause d'inventaire (1946) étant perdu – Hiroshima mon amour est une date dans l’histoire du cinéma qui rentre véritablement dans une nouvelle ère par ses audaces. Le scénario labyrinthique de Marguerite Duras et les expérimentations narratives et visuelles d’Alain Resnais donnent ainsi à l’ensemble une forme novatrice et expérimentale qui se met pourtant au service d’un récit poignant. 

Deux corps nus entrelacés, leurs voix masculine/féminine qui se répondent dans une répétition poétique sur l’horreur d’Hiroshima, et bientôt celle-ci qui vient s’imposer à notre regard révulsé. Resnais met de la beauté dans ses visions d’apocalypse avec ces cendres radioactives se reflétant en fondu enchaîné sur la peau des amants en pleine étreintes et bientôt c’est la désolation qui s’affiche avec corps calcinés, villes fantômes et corps malformés par le contact aux radiations. Cette ville d’Hiroshima renferme un passé douloureux qui va se mettre en parallèle de celui de notre héroïne sans nom (Emmanuelle Riva), actrice en tournage au Japon et qui va y tomber amoureuse d’un homme (Eiji Okada). 

La relation est montrée au départ comme essentiellement charnelle mais l’ouverture nous a bien fait comprendre que le reflet d’un passé douloureux va bientôt les rattraper. La femme affiche un détachement de façade quand l’homme est réellement bouleversé par cette rencontre. Les amours interdites (elle est mariée) et impossibles avec un étranger, cette femme en a connu de terrible quinze ans plus tôt, son traumatisme se mettant en parallèle de la catastrophe d’Hiroshima arrivée presque simultanément. Encore adolescente dans sa ville de Nevers, elle est tombée amoureuse d’un soldat allemand. Un premier amour brutalement interrompu par la mort de ce dernier et les représailles de la libération où après avoir été tondue elle sombra un temps dans la folie.

Les mots de Marguerite Duras et les images de Resnais trouvent une harmonie hypnotique pour dépeindre les tourments d’Emmanuelle Riva. La musicalité du style de Duras, son art d’explorer les maelstroms de souvenirs et de pensée intime dans une tonalité flottante est idéalement transposé par Alain Resnais. Le film est volontairement verbeux et littéraire dans ses dialogues, mais jamais dans un style abscons, que ce soit par l’interprétation fébrile et intense d’Emmanuelle Riva ou la mise en scène inspirée d’Alain Resnais. Cette brume de souvenirs qu’on se refuser à laisser affleurer s’annonce donc par un montage fonctionnant par association d’idées, par des raccords en mouvement déroutant (le corps endormi du japonais qui nous ramène à celui mourant de l’amant allemand) avant que la voix-off de l’héroïne fasse peu à peu le lien quand elle se confiera au japonais. Même là lorsque cette voix nous guide, les images du passé vogue plus au fil des pensées d’Emmanuelle Riva avec des alternances d’images déroutantes où le sensoriel prend le pas sur un fil narratif classique.

Le cœur de cette femme semblait s’être éteint après ces premiers émois violemment éteint et, au contact de ce japonais à l’amour ardent, un désir oublié et violent semble renaître en elle. C’est un plaisir et une douleur, le bonheur présent ramenant à la perte passé et la forçant à l’aveu. Hiroshima et Nevers finissent par se confondre dans sa pensée et Resnais joue de cela par un montage alterné où le glissement d’un mouvement de caméra dans les ruelles d’Hiroshima peut se poursuivre dans le paysage rural de Nevers dans la Nièvre. L’animation, les ruelles bondées et les néons d’Hiroshima répondent à la désolation de la campagne déserte de Nevers. Les chambres d’hôtels, la maison du japonais théâtre de leurs amours trouvent en miroir les granges désaffectées et les cabanes délabrées des retrouvailles fiévreuses avec le soldat allemand. Emmanuelle Riva est absolument bouleversante d’abandon progressif, au fil de cette remontée de mémoire et du ravivage de sentiments oubliés.

Elégante, sensuelle et d’une sensibilité à fleur de peau, elle est troublante de bout en bout et par sa présence incarnée toute la préciosité possible des dialogues s’estompent complètement. Eiji Okada même si l’on devine aisément qu’il a appris phonétiquement ses dialogues français se révèle un grand acteur malgré cette contrainte, amenant une intensité et un désespoir palpable à son personnage.
L’aura de Marguerite Duras (le dépaysement, les amours coupables et métissée, l’opposition à son environnement social tout L’Amant est déjà là) se mêle idéalement à celle d’Alain Resnais dont l’humanisme et la réflexion sur le devoir de mémoire s’articule parfaitement au romanesque. Le score torturé et envoutant de Georges Delerue y est pour beaucoup également.

Nevers est Hiroshima, Hiroshima est Nevers, le japonais sera peut-être l'allemand. Les amants répètent le passé et se quittent ou au contraire restent ensemble… Tout cela reste finalement bien incertain dans une œuvre qui nous interroge par sa forme, son message et les élans sentimentaux de ses personnages.

Sorti en dvd zone 2 et dans un magnifique bluray restauré chez Tamasa

6 commentaires:

  1. Un beau film et de beaux dialogues. Une extrait rien que pour le plaisir :

    Elle : Nevers que j’avais oublié, je voudrais te revoir ce soir. Je t’ai incendié chaque nuit pendant des mois tandis que mon corps s’incendiait à ton souvenir.
    […]
    Une nuit loin de toi et j’attendais le jour comme une délivrance.

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  2. Oui un vrai poème filmique et littéraire ça a d'autant plus marché sur moi que je me suis enfin mis à la lecture de Marguerite Duras avant de le voir. Resnais a vraiment réussit à retranscrire son style par l'image.

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  3. Ah oui, j'ai vu que tu avais lu dernièrement L'amant de Duras. C'était mon premier roman lu de l'auteur, et je l'ai même relu quelques années plus tard. Puis je me suis fait plaisir en achetant les deux premiers volumes apparus dans La Pléiade. Je vais d'ailleurs revenir vers Duras prochainement. J'espère que tu as apprécié ta lecture et que tu en liras d'autres encore. A l'instar de Hiroshima mon amour, j'ai également beaucoup apprécié la lecture et le film Moderato Cantabile.

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  4. Ah justement j'hésitais en celui-là et Barrage contre le pacifique pour le prochain à lire d'elle. Là je pense me revoir L'Amant (dans le souvenir que j'en ai d'avant lecture du livre c'est assez différent du bouquin on voir si ça le fait toujours petite chronique à venir par ici bientôt !). Je serais curieux de lire la variation qu'elle en a fait en réponse au film aussi, L'Amant de la Chine du nord.

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  5. Tu sais sans doute à quel point elle a détesté le film L'amant de Jean-Jacques Annaud, et franchement je la comprends tant le film est avant tout racoleur. Rien ne vaut le roman dans ce cas-ci, enfin ce n'est que mon avis. L'Amant de la Chine du nord est nettement plus dispensable, je l'ai lu après la sortie du film mais ce n'est qu'un roman pour mettre les points sur les i (si on peut dire), il n'a pas du tout la même force narrative que celle dans L'amant et je l'ai très vite oublié. Ce n'était qu'une tentative de la part de Duras de se réapproprier "son amant" après le film, une démarche très personnelle que je peux comprendre mais ce livre est pour moi mineur dans sa bibliographie.

    Barrage contre le pacifique est totalement différent de Moderato Cantabile, dans la forme et dans le contenu, le premier est également beaucoup plus facile à lire. L'histoire de la mère de Duras, reprise dans Barrage du pacifique, est vraiment incroyable dans son aspect tragique. Et quelle personnalité ! Ce serait dommage de passer à côté. Bref, les deux sont à lire. Note que l'adaptation de Moderato Cantabile est nettement plus réussie, je l'ai beaucoup aimé en tout cas.

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  6. Dans mon souvenir du Annaud comparé au livre, l'adaptation évacue tout le côté flottant, les voyages dans les souvenirs et le conflit familial au profit de la romance et du côté sexuel. Je peux comprendre après comme ça fait très longtemps j'attends de le revoir pour me refaire une idée.

    Bon les deux romans sont dans les tuyaux 2015 est bien parti pour être une découverte Duras côté littéraire ! Après il y a aussi les films réalisés par Duras qui pour certains sont assez bien vus comme Indian Song à voir également sans doute...

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