Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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lundi 16 octobre 2017

Un goût de miel - A Taste of Honey, Tony Richardson (1961)


Jo, une petite lycéenne un peu gauche, vit à Manchester avec sa mère Helen qui se soucie plus de trouver un nouvel amant que de s'occuper de sa fille. Un soir que sa mère l'a mise dehors pour vivre une nouvelle aventure amoureuse, Jo vit une brève idylle avec un marin noir. Enceinte et abandonnée par sa mère qui s'est mariée, elle rencontre Geoffrey, jeune homosexuel qui lui propose de vivre à ses côtés. Mais la mère ne l'entend pas de cette oreille...

Les héros incarnés par Albert Finney dans Samedi soir, dimanche matin (1960) ou encore Tom Courtenay dans La Solitude du coureur de fond et Billy le menteur (1963) semblent associer les grandes figures du Free Cinema a des incarnations uniquement masculines. L’origine littéraire des angry young men du mouvement en découle effectivement mais celui-ci sut aussi se préoccuper d’une gent féminine tout aussi étouffée dans le conformisme et déterminisme social de l’Angleterre d’après-guerre. Là aussi les plus belles réussites cinématographiques s’appuient sur une base littéraire, notamment la romancière irlandaise Edna O'Brien à travers sa trilogie des Filles de la campagne dont le deuxième volet sera adapté en 1964 avec The Girl with green eyes de Desmond Davis dont elle signe le scénario. Elle poursuivra cette réflexion sur la condition féminine avec le scénario original de I was happy here (1966) de nouveau réalisé par Desmond Davis. Cette base féministe se trouve déjà dans A taste of honey film fondateur du Free Cinema  où l’on trouve déjà au générique Desmond Davis encore cadreur et la jeune actrice Rita Tushingham future héroïnes de The Girl with green eyes. Après son premier film Les Corps sauvages (1958) adapté de John Osborne, Tony Richardson transpose à nouveau une pièce dirigée du temps où il travaillait au Royal Court Theatre. Elle fut écrite par Shelagh Delaney figure majeure du théâtre britannique qui amena ce réalisme cru et cette contemporanéité dès sa première œuvre A Taste of Honey, dont le succès en fit une des pièces les plus jouées d’après-guerre.

La pièce fut pour la première fois jouée dans le cadre du Theatre Workshop, un groupe se caractérisant par autant par le réalisme que l’excentricité truculente des milieux populaires dépeint. La sinistrose se ressent dans la durée, dans une précarité stagnante tandis que les désagréments du quotidien sont acceptés avec un rire gras et désabusé. Ce sera le ressenti dans la relation aigre et tendre entre Jo (Rita Tushingham) et sa mère Helen (Helen). Habituée aux pensions de famille sommaire, aux déménagements intempestifs et aux défilés d’amants de sa mère, Jo vit cette existence chaotique avec une ironie et résignation, la détresse se traduisant par les bons mots et le visage si expressif de Rita Tushingham. Le « couple » fille/mère nous amuse ainsi un temps entre la coquetterie de la beauté fanée Helen et le ton vindicatif de Jo, jusqu’à ce que cet équilibre soit bouleversé par le nouvel amour d’Helen, Peter (Robert Stephens). Ce dernier symbolise la figure masculine rétrograde et machiste (Helen réduite au silence, tâches ménagères et chantage une fois mariés) suscitant la soumission ou le rejet. 

L’affection ne peut naître qu’entre les rejetés de la société à divers degrés. Le récit donne donc à voir des communautés peu visibles dans le cinéma anglais à travers la romance interraciale entre Jo et le marin noir Jimmy (Paul Danquah) et son amitié avec l’homosexuel Geoffrey (Murray Melvin). Seul un Basil Dearden laissait voir jusqu’ici cette diversité, mais toujours dans un climat anxiogène de polar quand Richardson fait de cette promiscuité des « exclus » le seul rayon de lumière. La beauté formelle peut ainsi surgir de l’environ urbain sinistre avec l’émergence des sentiments, la photo de Walter Lassally et les cadres de Richardson offrant plusieurs instants de grâce. Le baiser dans méandres du bateau ou encore la première fois sur les hauteurs de la ville amène ainsi un lâcher prise touchant. L’aveu de sa grossesse de Jo à Geoffrey dans une alcôve illuminée de la ville avec une décharge en arrière-plan définit également ce décalage entre l’environnement dépressif et la bonté qui le surmonte.

La différence et l’exclusion latente de chacun nourrit ainsi une singularité qui par l’entraide permet de se distinguer dans la grisaille. Tony Richardson transcende le cliché (les attitudes maniérées de Geoffrey), rend touchante l’excentricité (qui constitue en fait une armure secrète) et défie le déterminisme - la scène où Jo observe un jeune attardé, s'interroge sur une possible déficience héréditaire la guidant vers son malheur. Cette union des laissés pour compte ne saura pourtant pas tout résoudre comme le moindre un final doux-amer renvoyant à la situation initiale et un avenir incertain. Les injustices étouffées et le propos direct du film contribuera à affirmer l’identité du Free Cinema tout en proposant une vision plus singulière du kitchen sink drama. Le film rencontrera une reconnaissance majeure – Prix d’interprétation pour Rita Tushingham et Murray Melvin à Cannes en 1962, meilleur film et scénario au BAFTA – et marquera durablement la culture anglaise notamment par le groupe The Smiths dont le texte de la chanson This night i opened my eyes en reprend la trame. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Doriane Film et ressortira en salle le 18 octobre 


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