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vendredi 12 janvier 2018

Beetlejuice - Tim Burton (1988)


Pour avoir voulu sauver un chien, Adam et Barbara Maitland passent tout de go dans l'autre monde. Peu après, occupants invisibles de leur antique demeure ils la voient envahie par une riche et bruyante famille new-yorkaise. Rien à redire jusqu'au jour où cette honorable famille entreprend de donner un cachet plus urbain à la vieille demeure. Adam et Barbara, scandalisés, décident de déloger les intrus. Mais leurs classiques fantômes et autres sortilèges ne font aucun effet. C'est alors qu'ils font appel à un "bio-exorciste" freelance connu sous le sobriquet de Beetlejuice.

Le succès inattendu de Pee-Wee Big Adventure (1985) avait soulevé l’intérêt pour Tim Burton, la Warner l’envisageant alors pour sa grande adaptation à venir de Batman. Le studio tergiverse néanmoins à confier un si gros projet à un novice. Tout en préparant le projet sans assurance d’être le choix définitif, Tim Burton scrute donc sans enthousiasme les scénarios conventionnels qu’on lui propose avant de tomber sur cette bizarrerie intitulée Beetlejuice. Le scénario initial est un vrai film d’horreur déviant (Beetlejuice incontrôlable et plus proche du violeur que du pervers rigolo du film, la scène de possession graphiquement plus agressive) que Burton va s’approprier dans sa thématique d’opposition du bizarre imprévisible et attachant avec une normalité conventionnelle et étouffante. Si Batman, le défi (1992) sera un film tout entier dévoué et fasciné par les monstres et où l’humain est absent, Beetlejuice préfigure plutôt le traitement de Edward aux mains d’argent (1990). Tim Burton impose ainsi pour la première fois son univers visuel mais en prenant soin d’avoir des personnages attachants et tiraillés dans cet entre-deux opposant un univers excentrique ténébreux et une réalité plus aseptisée mais bien plus inquiétante au final. 

Le couple formé par Adam (Alec Baldwin) et Barbara (Geena Davis) constitue donc des héros arrachés à une vie paisible pour être plongé dans le monde des morts dont ils devront apprendre les codes. A l’inverse la jeune Lydia (Winona Ryder) est bien vivante mais irrésistiblement attirée par ces ténèbres plus excitantes que son quotidien morne. Tim Burton donne donc dans la comédie et la satire pour opposer monde des morts et des vivants en s’amusant des codes du genre. L’idée d’un au-delà lourdement administratif exploitée dans Une question de vie et de mort de Powell et Pressburger (1947) et Le Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch (1943) est ici revisitée par le prisme de l’imaginaire macabre et sarcastique de Burton. On conserve donc là pour toujours le possible piteux état dans lequel on a pu décéder (mais aussi la personnalité avec les quaterbacks de football stupides) ce qui donne une salle d’attente cauchemardesque où nos héros viendront clamer leurs droits.

L’au-delà coinçant pour l’éternité (ou plutôt 125 ans) Adam et Barbara dans leur demeure symbolise la prison éloignant du monde extérieur tous les grands personnages de Tim Burton, du manoir de Bruce Wayne dans les Batman au château d’Edward aux mains d’argent en passant par Charlie et la chocolaterie (2006). A l’inverse la solitude et l’apitoiement dans lequel se complaisent aussi les héros de Burton s’incarnent à travers Lydia, ado gothique au teint blafard et brassant des idées noires dans l’exiguïté de sa chambre. Ces personnages symbolisent à la fois le rejet et la volonté de se mêler aux autres de Burton, en particulier Winona Ryder qui est une vraie réminiscence de Vincent (1982) le premier court-métrage du réalisateur.

Beetlejuice (Michael Keaton) est lui le mauvais génie, graine de discorde et véritable entité punk signifiant le nihilisme tentant Burton pour balayer impitoyablement le conformisme hypocrite de la réalité. Cela passe d’abord par l’image où le réalisateur déborde d’inventivité pour toutes les créations associées au monde des morts que ce soit dans les décors extravagants de Bo Welch et la multiplicité des techniques d’effets spéciaux (animation image par image, prothèse, matte-painting, effets mécaniques) des différentes créatures, le tout dans un aspect bricolé rattaché au style de dessin singulier et rudimentaire de Burton mais aussi en hommage au série B de son enfance comme les productions Harry Harryhausen. En contrepoint finalement plus horrible nous aurons le décorum d’art contemporain hideux de Delia la belle-mère de Lydia (Catherine O'Hara) défigurant par ses contours informes et ses couleurs criardes le havre de paix de la maison.

Burton dénonce ainsi une modernité pédante, hypocrite et irrespectueuse (le décorateur d’intérieur snob Otho (Glenn Shadix) mais surtout d’un opportunisme glaçant. Adam et Barbara échouent à faire fuir les intrus car leur tempérament gentil ne permet pas la malveillance suffisante à créer des situations terrifiantes (l’hilarante scène de possession sur fond de Banana Boat Song de Harry Belafonte). Mais plus que cela, c’est le cynisme de ce monde moderne qui empêche tout d’abord de voir les fantômes (alors que l’adolescente Lydia encore candide les distingue) puis une fois leur présence avérée d’en avoir peur. Au contraire les adultes y voient une fructueuse affaire financière à exploiter avec les fantômes en attraction de choix.

Tim Burton ne cède cependant pas encore à la mélancolie des œuvres à venir et voit encore un espoir de cohabitation. Le drame de l’absence d’enfant est sobrement introduit au début pour Adam et Barbara, tandis que l’indifférence de ces parents est plus explicitement ressentie pour Lydia. Une famille de substitution peut donc se construire entre les vivants et les morts, Lydia en raison de supporter leur disparition pour le couple et eux en raison d’oublier ses penchants suicidaires pour Lydia. Avant cela, les deux mondes doivent sauvagement s’entrechoquer par l’entremise de la graine de discorde qu’est Beetlejuice. Michael Keaton signe une prestation extraordinaire de bouffonnerie et d’outrance, véritable pile électrique bousculant les codes de la bienséance (en ces temps plus puritain le personnage serait bien édulcoré, on peut craindre pour la suite annoncée) et relayé par des effets spéciaux délirants. 

Le leitmotiv consistant à prononcer son nom trois fois pour l’appeler fera école (Candyman (1992) de Bernard Rose dans un film d’horreur plus direct) et est habilement monté en épingle jusqu’au délire final où Burton donne dans l’horreur pour rire, le grand guignol et cabaret macabre. Le personnage emportera tellement l’adhésion lors des projection-test que Burton ajoutera ensuite le génial épilogue pour une ultime facétie de Beetlejuice. Le film sera un immense succès et la première adhésion du public à l’univers de Tim Burton. La Warner rassurée allait donc confier Batman (1989) à ce dernier pour un raz-de-marée commercial d’une toute autre ampleur. 

 Sorti en dvd zone 2 français chez Warner

 

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