Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Une jeune femme, le soir de son mariage
voit resurgir son amour de toujours qui désire l'emmener avec lui.
Pendant qu'elle prépare ses bagages, elle se remémore sa vie.
Kitty Foyle
marque l'aboutissement du virage de carrière amorcé par Ginger Rogers
et qui se verra récompensé par l'Oscar de la meilleure actrice. Ginger
Rogers se sera progressivement détachée de l'imagerie glamour rattachée à
ses comédies musicales avec Fred Astaire et se réinventa à la fin des
années 30 pour incarner désormais la fille du peuple, symbole de cette
Amérique en crise dont elle devient la représentante à l'écran avec des
personnages vivant les mêmes difficultés et luttant pour survivre au
quotidien. Ce registre donna des chefs d'œuvres chez Gregory La Cava (Pension d'artistes, La fille de la Cinquième avenue, Primrose Path) et de jolis films ailleurs comme Mariage Incognito (1938) de George Stevens Mademoiselle et son bébé de Garson Kanin (1939).
Ginger Rogers incarne à nouveau le peuple et plus précisément LA femme dans la symbolique scène d'ouverture de Kitty Foyle.
Sam Wood traverse ainsi le début du siècle jusqu'à l'époque
contemporaine avec Ginger Rogers incarnant l'évolution du statut de la
femme : fille bonne à marier et mère de famille qui progressivement
obtient le droit de vote, travaille et devient autonome. Ginger Rogers
est ici Kitty, femme moderne et confrontée à de nouvelle difficulté avec
ce progrès et évolution de statut. Cela va s'amorcer avec le dilemme
proposé à l'héroïne demandée en mariage par son prétendant de longue
date Mark (James Craig) et qui voit ressurgir son amour de toujours Wyn
(Dennis Morgan).
On découvrira dans un flashback introspectif où Kitty
se questionne sur son choix les enjeux qui se jouent à travers les deux
soupirants. Wyn représente toute la magie, le romantisme de conte et la
lumière dont rêvait la jeune Kitty lorsqu'elle guettait les bals mondain
de l'assembly dans sa jeunesse à
Philadelphie. Wyn est le prince charmant de ses rêves et Sam Wood
traduit leur séquence commune dans une tonalité de rêve éveillé et de
romantisme idéalisé envoutants et bien sûr trop beau pour être vrais.
Chaque scène aussi flamboyante soit-elle est ainsi brutalement ramenée
au fossé social entre Wyn et Kitty notamment la belle scène de bal et le
mariage suivit de la rencontre avec la condescendante famille
aristocrate.
A l'inverse Mark, le médecin bienveillant est issu du même
milieu et affronte des réalités similaires à Kitty (très amusant premier
rendez-vous où il la joue pingre avec un grand sourire) les séquences
avec lui jouant plus de la comédie et la complicité entre eux. Difficile
de choisir pourtant entre le rêve dégagé par Wyn et la sécurité
véhiculée par Mark, là aussi la bonhomie de James Craig s'opposant aux
penchants plus torturés de Dennis Morgan.
Le script oscille ainsi
sans que l'on puisse réellement anticiper le choix et il est dommage
que Trumbo cède finalement ouvertement aux contraintes du code Hays
puisque (même si cela reste cohérent dans la progression) on devine que
le couple "légitime" est privilégié au profit de l'aventure. Sam Wood
délivre une mise en scène délicate et inspirée notamment les flashbacks
confondant la boule de neige à la réelle tempête en fondu et magnifie
les traits d'une Ginger Rogers à la fragilité palpable mais déterminée (dont cette scène où elle s'interroge sa conscience à travers le miroir).
Wood peine cependant à atteindre l'émotion et la force dramatique d'un
La Cava ici plus dû aux acteur et à la construction habile de Trumbo
plutôt qu'à sa réalisation. Une belle réussite tout de même.
Sorti en dvd zone 2 français aux Editions Montparnasse mais l'image n'est franchement pas fameuse donc pencher plutôt pour le zone 1 Warner qui comporte des sous-titress français
Ce film raconte la biographie romancée
d'Annie Oakley, la plus adroite des femmes de l'ouest au maniement des
armes à feu. Elle rencontre Buffalo Bill et entre au Wild West Show.
Georges
Stevens nous offre un divertissement des plus agréables avec cette
biographie romancée d'Annie Oakley, légende de l'Ouest passé à la
postérité pour sa dextérité au tir. L'intrigue suit très fidèlement le
parcours de la tireuse en dramatisant un peu plus et en accélérant
certains évènements : son enfance pauvre où elle apprend à tirer pour
nourrir sans famille après le décès de son père, le défi lancé à un
autre virtuose du tir qui va lui amener la notoriété et la faire engager
dans le Buffalo Bill Wild West Show, le succès et les tournées à
travers le monde dont un fameux numéro testé sur le Guillaume II
d'Allemagne...
Tout cela serait très linéaire et mécanique sans une
interprétation épatante et des enjeux sentimentaux bien mené. Dans la
réalité, Annie Oakley tomba amoureuse et épousa celui qui fut son
premier adversaire, Frank E. Butler vaincu lors de son premier concours
de tir. Le scénario le transforme ici en Toby Walker (Preston Foster) et
retarde l'union qui sera donc tout l'enjeu du film.
Annie Oakley
innocente et énamouré de Walker ira jusqu'à lui laisser remporter leur
première confrontation (au contraire de la réalité donc) mais ce dernier
présenter comme arrogant et macho va pourtant la prendre sous son aile
pour lui apporter ce qui lui manque, l'art de l'entertainment avec des
numéros de plus en plus virtuose. Ce revirement est superbement amené
par un excellent Preston Foster dont les poses de coq dissimulent un
personnage très attachant qui se dévoile au fur et à mesure qu'il
devient faillible. Barbara Stanwyck dans le rôle-titre croise avec brio
candeur et détermination, l'allure séduisante de ses tenues de scènes
n'ayant d'égal que sa précision infaillible au tir et forme un très joli
couple avec Foster.
Dans cette bonne humeur ambiante le film ne
fait que survoler les quelques pistes lancées au départ notamment la
facette féministe et la fermeture aux femmes d'espaces masculins que ce
soit le scandale de voir une femme dans un bar ou pire se mesurer aux
hommes en tir. Ici passé l'incrédulité et la méfiance de départ, aucun
obstacle ne se pose plus une fois qu'Annie a fait montre de ses
capacités. De même le triangle amoureux un peu plus conflictuel au
départ entre Annie, Toby Walker et le manager joué par Melvyn Douglas
n'est guère exploité non plus, tout comme le questionnement amorcé mais
vite éteint des relectures des mythes de l'Ouest dans cette troupe avec
les personnages farfelus de Sitting Bull et Buffalo Bill. Un bon moment
tout de même.
Sorti en dvd zone 1 chez Warner et doté de sous-titres français
Les choses semblent aller de plus en
plus mal pour John Cummings. Ses rapports avec sa femme Anne se
dégradent et son travail de représentant de commerce lui rapporte peu.
Il ne sait pas comment payer la voiture qu'il vient d'acheter. Comble de
malchance, celle-ci lui est aussitôt volée et il n'est pas assuré.
N'obtenant pas d'aide de la police qui au contraire l'accuse du méfait,
il décide d'enquêter lui-même. C'est là qu'il recroise le chemin Lionel
Meadows, qui n'est autre que le concessionnaire qui lui a vendu le
véhicule, et découvre que ce dernier est un voleur, particulièrement
violent, de voitures...
Avant les mastodontes plus (Le Crépuscule des Aigles, La Tour Infernale) ou moins (l'affreux remake de King Kong
et sa suite) mémorables qui firent son succès, John Guillermin mena une
solide carrière dans le cinéma britannique et réalise carrément un
petit classique méconnu du film noir avec ce teigneux Never Let Go
dont il signe également le scénario. Le pitch simplissime nous amène
vers un océan de noirceur avec un brio rare. John Cummings (Richard
Todd) brave représentant de commerce voit sa vie basculer le soir où lui
est volée sa voiture.
Cette perte matérielle va prendre des dimensions
dramatiques terribles pour plusieurs raisons. Cummings en grande
difficulté dans sa profession comptait énormément sur son véhicule pour
améliorer son efficacité, cette même voiture qu'il avait acquis au prix
de grand sacrifice financier et pour laquelle il n'a pas souscrit
d'assurance. La scène d'ouverture nous aura révélé que le vol a été
commis par des petites frappes téléguidées par le concessionnaire même
qui lui a vendu le véhicule, le très dangereux Lionel Meadows (Peter
Sellers).
Richard Todd campe un quidam insignifiant et faible
qui va pourtant s'acharner à récupérer son bien avec une abnégation
maladive. Mine frêle et visage apeuré, le personnage n'a que cette
volonté pour lui tant il passe le film à subir les humiliations
physiques et verbales les plus diverses, par les malfrats qu'il traque,
par la police négligeant ses demandes, par son patron et surtout par sa
femme. Pour tous, il n'est qu'un perdant, une quantité négligeable
constamment sous-estimé. On comprend ainsi peu en peu le vrai enjeu de
l'intrigue, au-delà de la voiture c'est sa fierté que cherche à
reconquérir John Cummings.
Face à lui, Peter Sellers loin de ses rôles
comiques campe un très inquiétant malfrat qui derrière ses airs suave
dissimule une violence froide surgissant sans prévenir de manière
explosive. La progression du récit inverse peu à peu le rapport de
force, Cummings prenant de l'assurance dans son harcèlement de Sellers
qui perd pied et sombre dans la paranoïa. L'intrigue répète les face à
face entre eux qui se font de plus en plus tendus jusqu'à un final
hargneux qui laisse exploser sa violence avec une rare intensité.
Guillermin
mène avec une grande efficacité l'ensemble notamment par les
personnages secondaires soignés qui étoffent grandement l'histoire que
ce soit l'épouse anxieuse de Cummings jouée par Elizabeth Sellars ou le
couple de jeunes paumés avec la maîtresse de Sellers et le chef des
voleurs. Ce qui surprend c'est l'incroyable brutalité du film porté par
un terrifiant Sellers qui malmène femmes, animaux ou vieillard sans
remord.
La montée en puissance finale sur le score jazzy tendu de John
Barry débouche sur un mano à mano féroce entre Sellers et Cumming à coup
de chaînes, barre de fer et tessons de bouteille. Cela est
cependant amené avec une grande finesse qui évite complètement le piège
de l'éloge de l'autodéfense. La libération par la violence n'arrive
qu'en ultime recours et est aussi brève qu'intense, laissant leurs rôles
aux autorités tout en redonnant son honneur au héros.
Sorti en dvd zone 1 chez MGM et VCI et doté de sous-titres anglais
Ana est une belle jeune fille épanouie
de 18 ans qui vit à Ibiza. Elle exprime sa passion pour la vie dans ses
peintures naïves. Un jour, Justine, mécène cosmopolite, invite Ana à
approfondir son travail en venant à Madrid, pour y vivre au sein d'un
groupe de jeunes artistes. C'est le commencement d'un voyage qui mènera
Ana sur de nouveaux continents, la menant à révéler, à travers
l'hypnose, ses vies passées, qui ont traversé des siècles de mythes
anciens. Ana devra relever le défi de briser la chaîne de violence
ancestrale qui siège dans son esprit chaotique.
Dans
chacun de ses films, Julio Medem avait toujours mêler des intrigues dont
les enjeux s'inscrivaient dans une certaine réalité (la solitude, les
amours contrariés, le deuil) et dont la résolution passait des éléments
plus flottant teintés d'onirisme, de karma et de spiritualité.Lucia et le Sexe
(2001) avait atteint une sorte de perfection esthétique et narrative de
cette approche et constituait le chef d'œuvre du réalisateur. Avec Caotica Ana,
Medem radicalise cet esprit et s'abandonne complètement à ses velléités
mystique en faisant reposer son récit entier sur une quête spirituelle,
sans y mêler de drame classique et signe ainsi son film le plus
déroutant.
Ana (Manuela Vellés) est une jeune fille épanouie ayant toujours vécu à
l'écart de toute difficultés, vivant une existence libre au grand air
avec son père et habitant dans une grotte. Tous cela est bouleversé le
jour où Justine, un mécène (Charlotte Rampling) intrigué par ses
peintures lui propose d'intégrer un groupe de jeune artistes qu'elle
loge à Madrid. Ana accepte, se trouve une seconde maison et de nouveaux
amis dans ce nouveau cadre et découvre même ces premiers émois amoureux
avec le ténébreux Saïd (Nicolas Cazalé).
Celui-ci est son pendant
inversé, aussi torturé et dépressif qu'elle est insouciante. Le
personnage d'Ana aussi attachant et radieux soit-il nous apparaît tout
de même un peu creux dans cet allégresse constante. Ana est en fait un
être incomplet qui refuse de se confronter aux douleurs du monde et vit
dans une bulle, mais en quittant son cocon elle sera bientôt rattrapée
par d’étranges visions en forme d'hallucinations éveillée convoquant un
lointain passé. La belle quiétude d'Ana va alors s'estomper et la jeune
fille va devoir résoudre ses troubles par l'hypnose, à la recherche de
ce mystérieux passé.
Là Medem nous embarque dans un trip aussi fascinant que boiteux. Il fait
jouer la frustration en nous faisant adopter le point de vue d'Ana qui
refuse de se confronter à ces visions et les séquences d'hypnose ne
montrent que de façon fugace ses plongées (mais avec toujours de belles
idées comme ces peintures animées) dans l'inconscient. Ana adopte
endosse ainsi à différente époque l'identité de femmes martyrs bafouées
par les hommes. On trouvera une femme berbère assassinée par des soldats
marocains, une alpiniste fuyant son amour mourant de froid dans les
hauteurs neigeuse les voyages remontant de plus en plus loin dans le
temps.
Ces femmes doivent leurs dimensions sacrificielles à un
savoir, à une magie et accomplissement spirituel se transmettant à
travers les époques entre élues féminines dont Ana est la descendante.
Seulement Ana refuse cet héritage et tout le film suit donc son
acceptation progressive de cette destinée. La femme selon Medem ((arborant les vertus de la mère, l'amante, l'amie...)) acquiert donc ici
une dimension de déité (le dernier plan du film voit Ana passer devant
la Venus de Milo) bienveillante apportant paix et apaisement au fil du
temps. Le chapitrage du film agencé de un à dix comme les nombreux
compte à rebours d'hypnose qui parsèment l'intrigue se construit donc
ainsi en hypnotisant également le spectateur dans cette longue quête
initiatique d'Ana.
Medem prend tout de même le risque d'en égarer beaucoup dans ce virage
assez radical. On retrouve ici son gout pour les rebondissements
invraisemblables, mais cette fois lié à une intrigue tellement flottante
qu'elle demande une acceptation totale du voyage proposé et où le piège
du new age n'est jamais loin. Ce qui maintient notre attention c'est la
prestation puissante de Manuela Vellés, qui nous implique
émotionnellement par son jeu fragile et à fleur de peau et rend
concrètes toute cette dimension onirique. Le personnage de Charlotte
Rampling est trop signifiant et explicite exprimant uniquement par la parole les enjeux
tandis que Nicolas Cazalé est tout de même un peu fade. Medem délivre un
incroyable livre d'image dans ce périple d'Ana, gorgé de moments
flamboyants dont cette extraordinaire arrivée dans le musée indien au
cœur des rocheuses sur la musique de Jocelyn Pook ou encore les
langoureuse séquences maritimes.
Le final est grandiose avec Ana s'assumant enfin et prête à son tour à
faire face et à se sacrifier face au tyran de son époque. Le montage
alterné entre ses souffrances contemporaines et celles originelles à
l'aube des temps donne une tonalité épique fabuleuse à cette résolution.
Seul l'identité du "tyran" en question date quelque peu le film et
amène de manière grossière et une dimension politique inutile. Inégal et trop extrême dans son parti prix, Caotica Ana
n'est pas la plus maîtrisée des œuvres de Medem mais c'est cet
équilibre fragile et cette sincérité qui la rend si belle. Et dès lors
on comprend mieux l'option du suivant Room in Rome
qui ramène à une vraie épure tous les thèmes de Medem avec unité de
temps, de lieux et d'enjeux restreint et un symbolisme plus subtil.
Sorti en dvd zone 2 dans une édition hollandaise qui comporte aussi des sous-titres français
Giorgia, jolie femme-objet, épouse
modèle, assiste par hasard à un congrès de femmes en colère. Le soir
même pour la première fois, elle entend des voix, une voix plus
exactement, à laquelle elle ne peut résister et qui lui ordonne des
choses invraisemblables qu'elle regrette aussitôt après les avoir faites
: écraser une cigarette dans l'œuf que prenait son pacha de mari au
petit déjeuner, érafler sa précieuse voiture, lui avouer une
inexplicable liaison avec un peintre de bâtiments des plus frustes,
essayer de le noyer..
Gli ordini sono ordini
est une adaptation d'un roman d'Alberto Moravia où comme souvent dans
l'œuvre de ce dernier il est question de critique envers les travers de
la société italienne. Le sujet sera ici la place et l'émancipation de la
femme à l'aune de l'évolution des mœurs en ce début des 70's à travers
le parcours d'une femme au foyer soumise incarnée par Monica Vitti.
Giorgia (Monica Vitti) est une épouse modèle dont l'existence est
entièrement soumise à la satisfaction de son mari. Lui préparer son
petit déjeuner et œuf sur le plat comme il aime le matin, rendre la
maison impeccable et faire les courses du dîner préparé avec amour pour
le soir et écouter religieusement son homme raconter son harassante
journée de travail dans bien calé dans le fauteuil.
Tout est
parfaitement agencé dans ce petit programme (le câlin, toujours le
samedi inclus) sauf ses désirs et sentiments à elle. Giraldi met en
place toute sorte de petit gimmick et situations humiliante pour
illustrer la soumission de Giorgia tel se monologue quasi publicitaire
sur les meilleurs lessive en ouverture, la goujaterie hilarante du mari
joué par Orazio Orlando qui s'endort quand sa femme lui raconte sa
journée et feuillète sans scrupule des revues pornos dans le lit
conjugal.
Giorgia subit la situation en épouse docile respectueuse de la
tradition mais la rébellion viendra de son inconscient. Un étrange
sifflement annonce alors à plusieurs reprises l'intrusion d'une voix
dans son esprit qui l'incite aux actes les plus insensés : allumer puis
coucher avec le premier venu, punir le comportement odieux de son époux
en le jetant à la mer ou en rayant sa voiture (ce dernier point le
fâchant plus que l'adultère !). Elle va tout perdre de sa "confortable"
situation mais peut-être gagner enfin une vraie raison de vivre à
travers son parcours initiatique et sa quête d'elle-même.
La
première partie est parfaite de drôlerie et d'invention, la suite peine
un peu plus à convaincre à cause des situations très quelconques dans
lesquels sont placés l'héroïne. Pourtant les bonnes idées sont là mais
trop timorées dans l'ensemble. On a ainsi un bref interlude rural où la
situation semble plus arriérée encore avec ses femmes choisies et
mariées comme du bétail aussi drôle que glaçant mais peu approfondi.
L'émancipation doit être d'ordre sexuel aussi avec une Giorgia assumant
sa libido mais il n'y a ni folie ni vrai plaisir qui se dégage de ces
séquences trop brèves (surtout si on compare avec l'extraordinaire L'Amour à cheval
est bien plus profond sur des thèmes voisins sous son aspect coquin).
Du côté professionnel non plus pas grand intérêt alors qu'une
photographie même comique des femmes désormais bien installées dans le
monde du travail aurait pu être explorée mais c'est à peine survolé.
La remise en causes des idéologies libertaires est par contre réussie
comme lorsque Giorgia en couple avec un artiste se rend compte qu'il la
néglige et la traite en domestique tout autant que son époux (plaçant ce
machisme dans les gènes du mâle italien d'où qu'il vienne) et un
libertinage pas toujours acceptable pour cette vraie amoureuse. Le film a
un rythme assez poussif faute de moments accrocheurs et fouillés (et la
géniale idée de la voix off est finalement trop peu utilisée) mais
heureusement l'épatante prestation de Monica Vitti rattrape pas mal les
défauts.
Elle a effacé toute l'élégance et la sophistication dont elle
est capable pour ce personnage un peu gauche et ahuri qui s'impose
progressivement dans ses choix. Elle est très attachante dans sa
maladresse sollicite toute l'inspiration de Franco Giraldi (ancien
assistant de Sergio Leone et réalisateur de western spaghetti reconverti
dans la comédie) et du directeur photo Carlo Di Palma (alors compagnon
de Monica Vitti) qui la mette diablement en valeur et avec un grand
naturel pour accompagner cette prestation fraîche et spontanée.
Il est
vraiment dommage que le film soit si décousu, notamment une longue
poursuite en voiture finale dont on se demande ce qu'elle vient faire
là. On préférera se souvenir de la dernière image où une Monica Vitti
boiteuse s'éloigne néanmoins seule et libre vers de nouvelles aventures
et expérience où elle s'accomplira enfin, , hors des passages piétons et des sentiers battus.
Mary Blake est une jeune chanteuse
cherchant désespérément du travail à San Francisco. Le gérant de casino
Blackie Norton lui fait signer un contrat qu'elle regrette lorsqu'elle
se voit offrir une place à l'Opéra Tivoli. Après une dispute avec
Norton, elle rejoint la maison Tivoli de Jack Burley. Blackie menace de
poursuivre Burley en justice, demande à Mary de l'épouser et arrive à la
convaincre de revenir travailler pour lui. L'idylle ne dure pas et Mary
le quitte à nouveau pour l'Opéra Tivoli où elle devient la tête
d'affiche.
San Francisco
est une grande fresque sentimentale et musicale qui fut un des grands
succès MGM des années 30 notamment grâce à la chanson éponyme chantée
par Jeanette MacDonald qui devint un grand standard. A travers la
romance entre le propriétaire de cabaret Blackie Norton (Clark Gable) et
la chanteuse Mary Blake (Jeanette MacDonald), l'intrigue offre une
vision contrastée de cette bouillonnante cité de San Francisco du début
de siècle. Blackie est un cynique s'étant élevé à la force du poignet et
qui masque sa bonté sous ses attitudes rudes. Mary Blake ne sait sur
quel pied danser avec cet homme lui ayant donné sa chance mais qui se
complait dans cette débauche ambiante.
Le script fait évoluer ce
questionnement vers une dimension plus sociale à travers le triangle
amoureux et l'hésitation de Mary Blake entre Blackie et Jack Burley
(Jack Holt) représentant de l'aristocratie de San Francisco. Celui-ci
possède une éducation et des attitudes plus courtoises que le goujat
Blackie et propose à Mary Blake une place de cantatrice d'opéra plus
conforme à ses aspirations, s'opposant ainsi aux spectacles vulgaires de
Blackie.
Le film s'avère bien moins binaire que ce dispositif de départ, Blackie
soufflant le chaud et le froid entre son réel souci des autres (sa lutte
pour la mise aux normes des quartiers populaires victimes d'incendies
intempestif) et son égoïsme lui faisant adopter des attitudes
révoltantes envers Mary. A l'inverse le bien-pensant Jack Burley est un
vil profiteur préférant maintenir le statu quo plutôt que d'offrir une
un meilleur cadre aux quartiers pauvres. Si Jack Holt est quelque peu
unidimensionnel en riche entrepreneur, Clark Gable tout en gouaille et
séduction est irrésistible en goujat peinant à dévoiler ses failles,
adorable et détestable.
Jeanette MacDonald en oie blanche révoltée ou
soumise par amour amène une opposition tout en douceur et diablement
attachante en plus d'impressionner dans ses nombreuses envolées vocales.
Spencer Tracy en meilleur ami prêtre et conscience de Gable amène par
sa bonhomie et sa franchise une nuance au côté manichéen du film. La
rédemption de Blackie s'avère moins religieuse que personnelle lorsqu'il
pense avoir tout perdu après le tremblement de terre purificateur.
Les séquences musicales sont légèrement décevantes par contre, assez
quelconque lors des scènes de cabaret et vraiment trop statique pour
celle d'opéra entièrement au service de la voix et l'interprétation de
Jeanette MacDonald. Un peu dommage quand on sait le faste et la folie
que saura insuffler W.S. Van Dyke dans son Marie-Antoinette (1938).
Le tremblement de terre est par contre des plus impressionnants, un pur
moment de terreur et d'apocalypse ou toute la frivolité qui a précédé
se voit balayé d'une secousse vengeresse renvoyant chacun aux vraies
réalités. Les morts brutales et cruelles s'enchaînent dans un tourbillon
de flammes et de hurlements aux visions infernales.
L'épilogue en forme de remise en question et de recueillement est ainsi
des plus poignants avec l'errance de Gable dans ce monde révolu et à
reconstruire. C'est autant ce San Francisco dévasté que son âme blessée
qui sont à reconstruire sur des bases plus saines comme le montre un
saisissant fondu enchaîné final (peut-être inspiration de Scorsese qui
conclura son Gangs of New York
de la même façon) liant passé et présent. C'est tout le symbole des
belles retrouvailles finales malgré le côté religieux très appuyé et
refuge dans un tel moment.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans la collection "Trésors Warner"
Quelque part dans cet immense océan
noir qu'est le cosmos, il existe une île de collines à la terre rouge,
sur laquelle débarque Angel Bengoelxeo, un homme au passé obscur et
souffrant d'un dédoublement de la personnalité. Il est chargé de
désinfecter les vignes par fumigation afin de stopper l'épidémie de
cochenilles qui donne au vin un étrange goût de terre. Il trouvera la
possibilité de résoudre son problème au contact de deux femmes, Mari et
Angela.
Avec ce troisième film, Julio Medem délivre un
nouvel ovni dont il a le secret et où s'affirme avec grâce sa patte dans
une tonalité moins rugueuse que L'écureuil rouge,
annonçant les réussites plus stylisée à venir. Le film s'ouvre une
voix-off mystique nous expliquant sur un ton exalté les mystères enfouis
dans l'immensité des étoiles et du cosmos, la caméra voguant vers ces
étoiles jusqu'à redescendre vers les nuages puis jusqu'à l'île à la
géographie incertaine où se déroulera l'action puis s'enfonçant dans les
terres viticoles où sévissent les cochenilles.
La voix-off s'humanise
alors pour s'exprimant à travers le visage d'Angel (Carmelo Gomez),
agent agricole venu désinfecter les vignes. Comme souvent chez Medem les
grands espaces naturels sont un terrain de quête spirituelle pour les
personnages et ici Angel devra résoudre son dédoublement de
personnalité. Quelques indices sont distillés tout au long du récit sur
le passé d'Angel, submergé par son esprit en ébullition et qui a déjà
effectué des séjours à l'asile.
La tirade d'ouverture sur
l’infini cosmos figure autant la destinée avec cette histoire affirmant
déjà le gout de Medem pour le récit imprévisible aux multiples
possibilités que la complexité de l'esprit humain. Partant de la
schizophrénie d'Angel, Medem déploie la thématique du double tout au
long du film. Double comme la personnalité mi- ange, mi- démon d'Angel
homme doux et paisible cédant soudain aux pulsions de son mauvais génie.
Le script rend encore plus complexe cette facette à travers les deux
femmes désirées par Angel. Sa part d'ombre est attirée par la douce,
pure et bienveillante Angela (Emma Suarez) tandis que son côté le plus
attachant et sincère penche vers la torride et sulfureuse Mari (Silke).
Ce côté sombre s'apaise avec la douceur d'Angela tandis que l'innocence
trop abstraite de sa facette "gentille" s'humanise avec le désir brûlant
provoqué par la sensuelle Mari. Medem dédouble ainsi la femme typique
de son cinéma (la Paz Vega de Lucia et le Sexe en étant l'archétype le
plus parfait) avec ces deux personnages à la fois amies/amante,
vulnérable/protectrice, innocente et dévergondée. Ce n'est qu'au prix
d'un choix impossible qu'Angel résoudra ces problèmes mais Medem se
garde bien de nous orienter vers l'une ou l'autre. La sensibilité de
chacun guidera ses attentes pour l'issue mais Medem caractérise ses deux
héroïnes de façon à rendre les deux voies positives et sans jugement
moral.
L'écureuil rouge
montrait encore la poésie visuelle de Medem dans une forme assez abrupte
mais ici le scope majestueux, la photographie ocre de Javier
Aguirresarobe et la musique envoutante de Alberto Iglesias confère une
splendeur de tous les instants à Tierra.
Les scènes nocturnes sont assez extraordinaires dans ce sens,
totalement irréaliste et évoquant un rêve éveillé où Angle avance en
somnambule tandis que ce paysage désertique donne des allure de planète mars au décor (Angel évoquant un cosmonaute avec sa tenue de travail). Ce questionnement sur le double accompagne aussi la
description de cette nature et de ces habitants.
Cet environnement
apaise Angel mais stimule aussi sa schizophrénie, la foudre frappe au
hasard pour le meilleur et pour le pire (magnifique double mort du
berger en ouverture) et les autochtones s'avèrent tour à tour
bienveillant et hostile (Karra Elejalde terrifiant en Patricio à la
gâchette facile). Le montage en chausse-trappe du début du film annonce cela avec ces scènes amusantes (la première rencontre avec Patricio, la brebis sur la route) s'interrompant avant leur issue pour prendre un ton bien plus trouble une fois vue dans leur entier par la suite.
La conclusion est somptueuse dans son hypnotique
indécision, Angel s'égarant encore plus en pensant enfin choisir avec
Medem rendant les deux femmes incroyablement charnelles dans un registre
totalement différent avec un érotisme moite et élégant. L'esprit ou la
chair, le désir ou l'amour, l'aventure ou la sérénité, Medem opte pour
tout et rien en même temps dans une fin ouverte onirique dont il a le secret.
Sorti en dvd zone 2 espagnol et doté de sous-titres français. Pour ceux qui veulent découvrir Medem d'un bloc et pour pas trop cher il existe un coffret espagnol sous-titré français très abordable réunissant l'intégrale de sa filmographie (sauf "Room in Rome") ce qui peut être intéressant vu que certains film n'existe pas en dvd français ou sont épuisés et hors de prix
Leonard Zelig est un homme-caméléon :
en présence de gros, il devient gros ; à côté d'un noir, son teint se
fonce ; parmi les médecins, il soutient avoir travaillé à Vienne avec
Freud, etc. Bien sûr, les médecins s'intéressent à son cas sans en
percer le secret, jusqu'au jour où le Dr. Fletcher s'isole avec Zelig et
arrive à le soigner sous hypnose.
Woody Allen aura
promené de bien des façons tout au long de sa filmographie son
personnage récurrent de petit juif hypocondriaque et névrosé, de la plus
tendre, tragique à la plus loufoque. Zelig
propose une spectaculaire fusion entre la tonalité potache et farceuse
des débuts avec l'émotion dont il est désormais capable depuis les
joyaux que sont Annie Hall (1977) et Manhattan
(1979).
Le point de départ est des plus absurde avec cet être étrange
qu'est Leonard Zelig, caméléon humain qui adopte toutes les caractéristiques
physiques et de personnalité de quiconque se trouve en sa présence avec
des résultats spectaculaires et délirant : asiatique quand il se trouve
à Chinatown, trompettiste noir virtuose en présence d'un orchestre de
jazz, médecin plus que convaincant lorsqu'il se trouve dans un
hôpital... Leonard Zelig est à la fois tout le monde et personne.
La forme sera aussi surprenante que le pitch avec ici un faux documentaire faisant dix ans avant Forrest Gump
voyager son héros naïf à travers les grands évènements de son époque
(les années 20/30) où il fait figure de bête curieuse dans une
illustration oscillant entre recyclage virtuose d'images d'archives,
effets optiques stupéfiants intégrant Zelig au côté de personnalités
majeures, le tout relié par une voix off tour à tour neutre, impliquée
ou farceuse de Patrick Horgan.
Le film adopte ainsi un côté très sérieux
avec ces intervenants et experts réagissant au présent à ces évènements
passés mais qu'Allen conscient de l'absurde de son argument désamorce
toujours à coup de gags plus ou moins discret et souvent liés aux
transformations improbables de son héros.
L'ensemble aurait pu sombrer
dans la seule farce mais Allen parvient finalement à susciter l'émotion à
travers le poignant destin d'un homme qui se cherche. On peut forcément
faire le parallèle entre Zelig et Woody Allen. Même si hypertrophiés,
les complexes et les doutes de Zelig furent forcément ceux d’Allen et
leurs résolutions partielles similaires. Zelig parvient à s'intégrer au
monde en s'identifiant aux autres à l'extrême, Woody Allen gagna
l'admiration et l'affection de ses pairs par son bagout et son humour.
Tous deux réussissent en devenant des hommes-spectacle, la différence
étant que pour Zelig c'est involontaire et qu'il subit cette condition
le transformant en phénomène de foire.
Une telle idée propose
d'infinies possibilités scénaristiques qu'Allen amène de façon inventive
sur ses terrains familiers de l'humour, de la romance et d'une vision
captivante de la psychanalyse. La pathologie de Zelig questionne autant
d'un point de vue universel chez quiconque aura essayé de s'intégrer et
se fondre dans un certain milieu qu'à l'intime et au sociologique avec
cet antisémitisme ordinaire encore vivace et bien connu dans l'Amérique
de l'entre -deux guerre.
La nature changeante des médias et de la
population vous faisant passer d'idole à paria en un rien de temps (ce
qu'allait d'ailleurs vérifier douloureusement Allen quelques années plus
tard) est également largement fustigé, tout en nous faisant néanmoins
savourer le côté enjoué et sautillant des Années Folles.
La tonalité
fantaisiste ne disparait jamais vraiment mais une sourde mélancolie
parcoure ainsi l'ensemble laissant peu à peu poindre les failles sous
les rires avec notamment les entretiens de la chambre blanche où Zelig
tombe le masque et révèle ses peurs. Ainsi mis à nu, le personnage
cesse d'être un sujet d'amusement pour le spectateur et de thèse pour sa
psychanalyste Eudora Fletcher (Mia Farrow) qui émue par cette fragilité
va tomber amoureuse de lui. Et avec l'amour d'une seule personne,
l'opinion de toute les autres n'a plus d'importance semble nous dire
Allen dans le rétablissement sinueux mais spectaculaire de Zelig.
Le
mimétisme entre Woody Allen et Zelig devient total lorsque désormais
pour chacun cette singularité devient synonyme de reconnaissance, dans
le monde du spectacle bien sûr pour le réalisateur et vecteur d'un
exploit final invraisemblable pour notre caméléon au nez et à la barbe
d'Hitler avec un dernier détournement d'image mémorable. Sans doute un
des films les plus personnels de Woody Allen qui y passa près de trois
ans entre l'écriture du scénario en 1980 et les tournages parallèles de Comédie érotique d'une nuit d'été (1982) et Broadway Danny Rose (1984), y revenant constamment notamment pour peaufiner les effets visuels.